Jacques Wesoly-Wattier
A r t i s t e - P a s t e l l i s t e
[Articles] [Index]

 
Les pastels noirs du carrossier borain
 
(Le Soir Illustré, 8 octobre 1997, n°3407)
 
Jacques Wesoly-Wattier a inventé une technique de dessin qui dépasse nos frontières.
 
Avant une exposition à La Bouverie, hommage au journaliste Jacques Bourlez, l'artiste nous explique comment un crayon noir lui a sauvé la vie.
 
Son harmonica déploie les notes du Chant des Partisans, Jacques Wesoly-Wattier reprend son souffle: "Gil me demandait toujours cet air, puis il chantait".

Gil Duterme n'est plus, comme d'autres, Jacques Bourlez et Freddy Desmoort, ces journalistes du Borinage qui avaient cru en l'ancien carrossier de La Bouverie. Dans ses pastels noirs, fidèle à toutes les mémoires, Wesoly-Wattier distille cette tristesse qui le modèle, un cafard noyé dans une lumière si claire, irréelle. En polonais, wesoly signifie lumière. C'est le nom de son épouse. Comme pour secouer un passé trop sombre, Jacques Wattier signe ses oeuvres Wesoly-Wattier, histoire d'y ajouter une touche d'espoir.

Il revendique un seul honneur : "Etre un poète, tout simplement". Un écorché vif, nerveux, mélancolique, en quête de tendresse, ne ménageant pas son amour pour les autres, malgré une discrétion extrême qu'il dépasse, parfois.

A 53 ans, Jacques Wesoly-Wattier habite toujours rue Louise-Michel, dans cette petite artère de La Bouverie où il est né. De son jardin, où il a construit un colombier désormais silencieux, son regard découvre Pâturages et un terril, sauf à la belle saison, où les arbres entravent la vue. Pour aller de La Bouverie à Pâturages, on emprunte la rue du Grand Passage. Un nom de recueil de poèmes.

Ce ne sont pas ces paysages que l'homme montre dans ses tableaux, mais leur coeur y bat. L'été, le Borinage éclipse ces clichés de noirceur qui collent à la peau. Ces paysages verdoyants ont une ardeur solaire.

Fasciné par les torches

Wesoly-Wattier, c'est l'itinéraire classique du Borain mythique : papa à la mine, moyens réduits pour une grande famille. Le gamin Jacques aux mains d'or, devint carrossier, alors qu'il aurait voulu sculpter le bois, pour décorer des églises. Il croit en Dieu. A huit ans, son père lui donna un harmonica gagné à une kermesse. Avec l'instrument, l'enfant gagna quelques pièces, en jouant, lors de longues soirées de fête. Puis il suivit les cours de l'académie de La Bouverie, apprit la clarinette, la guitare. Il en garde l'amour des mélodies mélancoliques et fraternelles, comme il y a du feu dans ma cheminée de Félix Leclerc.

A 32 ans, le saturnisme, une maladie due à son métier, le terrassa. Il en sortit très affaibli, face au temps à meubler, pour ne pas devoir dire à tuer, et refusa cette fatalité : "Un jour, je dessinais, à la table de la cuisine, avec un crayon noir. C'était un paysage. Mon fils m'a dit que je devrais en faire d'autres, que je gagnerais peut-être un peu d'argent. Je me suis pris au jeu. J'ai travaillé, des heures et des heures, pour apprendre à dessiner, tout seul".

Par hasard, il broya de la mine de crayon gras et découvrit qu'il pouvait tirer des effets particuliers de ce matériau, en jouant avec les zones blanches laissées sur le papier. Un peu comme les dessins que déposent les vagues sur un rivage, après que la mer s'est retirée au large... "J'écrase le pastel noir, je l'étends avec de l'ouate, je dessine avec des Coton-Tige. Je joue avec l'ombre et la lumière. Je suis fasciné par la lueur des bougies, par les torches".

  Cinq cent pastels noirs ont construit la réputation du Borain autodidacte. Beaucoup de visiteurs viennent à sa rencontre, pour percer le secret de son oeuvre un peu hors du temps, mélange de surréalisme, d'art naïf, de contes de fées, de cauchemars et d'illustrations tirées de missels patinés. Dans un gros album, il conserve les coupures de presse. Plusieurs chaînes de télé lui ont consacré des documentaires, cherchant l'histoire de l'homme au travers d'oeuvres inclassables.

Ses mystérieux dessins représentent sa manière de partager des émotions enfouies. Et, en partageant l'écoute de l'Ave Maria de Gounod, interprété par le groupe vocal Lyricanto - dix-huit voix formées dans la classe de chant d'Edmond Lhote, de l'Académie de La Bouverie -, il va encore un peu plus loin. Loin de la personne à qui il livre ses tourments et ses rêves, les yeux fermés, il se laisse porter par la musique, rejoint les personnages de ses oeuvres. Des êtres en attente, timides et décidés, pétrifiés par le vertige du temps, qui suivent les trouées de clarté éclairant sa nuit.

Présenté par Georges Moucheron

Le journaliste Georges Moucheron, qui présentera l'artiste lors du vernissage de son exposition, en octobre, prouve son attachement à l'artiste : "Wesoly-Wattier a naturellement en lui ce que d'autres mettent parfois une vie à découvrir : la technique, le talent, l'inspiration. Mais sa plus grande qualité est celle des grands artistes, c'est la générosité".

L'exposition rendra hommage à un autre journaliste. Jacques Bourlez, qui s'en est allé au printemps, avait créé les émissions Rencontres à la RTBF-Mons. Ce poète s'est battu pour aider Wesoly-Wattier à trouver sa lumière, comme il s'était battu pour défendre des gens et leurs idées, en un quart de siècle de métier exercé avec une farouche humilité. Quand on passe par sa maison, Wesoly-Wattier commence par désigner l'endroit où s'asseyaient Jacques, Gil, Freddy.

Malgré son émotion, il joue les mélodies qu'ils aimaient, puis, fatigué par la maladie, vous salue longuement de la main, planté dans cette petite rue qui n'a l'air de rien, qui sort du passé et de son enfance, mais où flotte cette mouvance d'éternité qui drape ses pastels noirs. Une dame regarde par la fenêtre, le marchand de glace passe dans le flot de sa petite musique, les maisons s'alignent, si menues sous le ciel où de gros nuages roulent, fleuve de nos souvenirs.

Marcel Leroy

Exposition des pastels noirs de Wesoly-Wattier, salle des fêtes de l'Académie, à La Bouverie. du 17 au 21 octobre, de 16 à 19h, tous les jours. Présentée le 17, à 19h, en hommage à Jacques Bourlez (RTBF), par Georges Moucheron.